Haute-Fidélité
: Comment a commencé l'aventure Jean-Marie Reynaud ?
Jean-Marie Reynaud : Par hasard. Je
travaillais précédemment chez Hitone, notamment,
sur le mouvement des haut-parleurs, mais nous faisions également
de l’électronique, plus précisément trois
amplificateurs de puissance et un préamplificateur. Hitone a
alors déposé le bilan, et c’est à ce moment que
j’ai crée la société qui porte mon nom.
H.F
: Sur vos
documentations on lit Jean-Marie Reynaud, créateur d’enceintes.
JMR : Développer une enceinte
acoustique c’est de la
création. On peut avoir de grandes compétences
techniques, mais manquer d’idées. C’est la conjonction des
idées et de la compétence technique qui préside
à la création. Dans ce sens, je me considère comme
un créateur.
H.F
: Plus
précisément ?
JMR : Cela implique la notion d’art. Vous
savez, je suis à la
quête du son rêvé, de celui que j’ai en tête.
Comme dit monseigneur Lustiger, j’avance comme un âne. Je me
projette toujours vers des choses que je n’ai pas entendues. C’est en
ça que nous un métier extraordinaire, car ce n’est jamais
fini. Mais c’est également très frustrant car on n’est
jamais arrivé au bout et cela demande beaucoup de modestie.
Aujourd’hui c’est n pas de plus, mais j’oserai dire cela ne fait que
commencer.
H.F
: Quel est ce
son que vous avez en tête ?
JMR : C’est celui de la musique vivante.
Je suis musicien d’abord et
j’ai toujours la référence de la musique vivante. Ce qui
m’intéresse c’est de trouver dans les produits que je
développe la même émotion qu’au concert. Il y
à deux ans, j’ai dit que je fabriquais pour ceux qui me
ressemblent, ma démarche m’amène vers cela. La
reconnaissance du timbre est pour moi un critère
impératif, décisif. Plus je tends vers la perfection
technique, plus j’ai la nette impression de me rapprocher de la
réalité. Cela me fait plaisir et me crée un
sentiment de grand de confort.
H.F
: Entre un
super technicien et un mélomane visionnaire, lequel des deux
fera la meilleure enceinte ?
JMR : Aucun des deux, l’un ne vas pas sans
l’autre. Mes produits sont
d’abord des produits de laboratoire, mais ils doivent répondre
à mes exigences de musicien. Il y a deux personnes qui
cohabitent en moi, le mélomane et le technicien. Ces deux
personnes sont toujours en conflit et s’épient en permanence.
H.F
: Avez-vous
une ligne de conduite intangible ?
JMR : Premièrement, je refuse de céder aux exigences du
marketing. Deuxièmement, j’utilise un processus de recherche
permanent.
H.F
: Y a-t-il
pour vous des spécificités techniques immuables ?
JMR : Non, il ne faut surtout pas se
verrouiller. La technique
évolue considérablement, les composants aussi. Nous
menons de nouvelles études à chaque fois que nous
essayons un nouveaux composant de façon à voir s’il
s’adapte à nos besoins, et quelle est la façon optimale
de l’exploiter.
H.F
: Certaines
enceintes que vous avez conçues vous ont-elles poussé
à utiliser des techniques particulières ?
JMR : La géométrie d’une
caisse va influencer
considérablement le résultat. Il est nécessaire de
développer des composants cohérents pour conserver des
équivalences de vitesse, garantir de critères
d’accélérations parfaits. Tout cela est très
important pour le mariage des différents éléments
constitutifs de l’enceinte.
H.F
: Avez-vous
été amené à faire une découverte que
vous avez jugée décisive pour vos nouveaux produits ?
JMR : Le principe Isoflex que j’ai
breveté en 1990 a
été primordial. Il insiste sur la symétrie de
pression de chaque coté du haut-parleur et pousse à
prêter une attention prioritaire à la
géométrie de la charge. L’ogive a été
également une de mes première révélations,
il y a vingt-cinq ans de cela. Je ne prétend pas l’avoir
inventée, mais j’ai été l’un des premiers à
l’optimiser.
H.F
: Combien
d’enceintes avez-vous crées ?
JMR : Je ne sais pas exactement… Plus de quarante en trente ans ?
H.F
: Laquelle
vous a le plus marquée en son temps ?
JMR : L’Opéra m’a catapulté
dans la cour des grands.
L’Opus avec sa géométrie hyper pointue m’a
passionnée. Il fallait que je fasse ce produit. Il a
été la base de toute la nouvelle génération.
H.F
: Vous
insistez sur la multiplicité de coffrets.
JMR : J’ai été l’un des
premiers à utiliser de
parois sandwich. Une enceinte c’est un ensemble de haut-parleurs dont
chacun doit rayonner de l’énergie, et si le coffret manifeste
son tempérament, la réponse transitoire sera
altérée par les parasites du coffret. Il faut donc
travailler dans des conditions de neutralité totale.
H.F
: Vos produits
sont très « techniques ». Ne vous
êtes-vous jamais dit : faisons plus simple ?
JMR : Pour arriver à la
simplicité il faut un vrai
développement technique. Pour avoir un filtre simple, il faut
des haut-parleurs de qualité, parfois complexes. La technique se
voit à travers le produit même si le résultat peut
être considéré comme minimaliste. Il ne faut pas
faire d’économie sur les composants. Il faut accepter de payer
plus cher un composant pour avoir un résultat meilleur.
H.F
: Comment
construisez-vous vos haut-parleurs ?
JMR : Je peux partir d’une base existante
et l’adapter, c’est souvent le cas.
Ou je peux développer complètement un transducteur. Ainsi
sur la Studio VI tout a été développé
spécifiquement.
H.F
:
Trouvera-t-on un jour une autre technique de reproduction que le
haut-parleur ?
JMR : Dans l’état actuel des
connaissances, non.
L’électrodynamique est le concept qui a le plus de vertus. C’est
certes le plus versatile. Mais c’est aussi celui qui tolère le
plus de pression, les écarts de niveau les plus importants avec
le minimum de distorsion et qui fonctionne le mieux en phase.
H.F
: Pour vous
l’enceinte est-elle « LE » maillon ?
JMR : L’enceinte est le maillon de la
chaîne le plus polarisant.
Entre une mauvaise et une bonne enceinte, il y a un monde…
L’électronique est moins importante ou prête moins
à conséquence.
H.F
: Cela ne vous
choque pas que l’on marie une Offrande à 25000 francs avec un
amplificateur à 3000 francs ?
JMR : Pas du tout. Je connais beaucoup de
clients qui l’on fait et en
sont extrêmement heureux. Je dis toujours aux gens :
« Choisissez un son qui vous plait. L’enceinte est LE
maillon. La vérité n’étant pas de ce monde, la
neutralité absolue n’existe pas, allez vers ce que vous
trouverez de plus proche de votre sensibilité et de votre
expression de la vérité. Quand vous aurez trouvé
l’enceinte, vous aurez toute latitude pour trouver l’amplificateur qui,
associé à elle, vous donnera les résultats
subjectifs les meilleurs.
H.F
:
Aujourd’hui, plus on monte en gamme et plus les sons sont
diffèrent.
JMR : Il y a vingt-cinq ans, le haut de
gamme polarisait un
équilibre, une uniformité évidente. Tout le monde
tendait vers la même chose. Maintenant c’est très
différent. D’une certaine manière on trahit la
vérité. Les constructeurs ont tendances à
optimiser leurs électroniques en fonction d’une enceinte
donnée, ce n’est pas bien. Un amplificateur, cela devrait
être du fil droit avec du gain. Dans l’acoustique, cela n’est pas
pareil : par nature, ce domaine fait intervenir des paramètres
électriques et mécaniques qui induisent des couleurs
tonnes inévitables. Le goût artistique s’y manifeste plus.
H.F
: La
Hifi fait-elle encore rêver ?
JMR : On a beaucoup cassé le
rêve en disant que constituer
une chaîne c’était le parcours du combattant. On oublie
l’essentiel : le plaisir immédiat. La chaîne est un
vecteur de plaisir.
H.F
: Qu’elle est
votre création absolue au jour d’aujourd’hui ?
JMR : L’Offrande. C’est la première
fois que j’ai
développé un produit aussi longtemps sans l’entendre.
J’ai passé trois ans et demi en laboratoire et je m’étais
fixé un cahier des charges pour fabriquer ce produit. J’avais un
truc fou dans la tête et j’ai tout mis en œuvre pour apporter une
solution aux problèmes inhérents à ma
démarche. J’ai travaillé d’une manière totalement
abstraite sur ce produit. Il a été
développé au labo sans jamais être entendu et quand
j’ai considéré qu’il était vraiment
finalisé, je l’ai écouté et se fut le choc. Ce
produit est magnifique, il continue de m’interroger. J’ai l’impression
que l’Offrande a été faite par un autre. Je ne l’ai pas
encore totalement compris car elle va plus loin que moi. C’est
extraordinaire.
H.F
:
Pourquoi un produit aussi minimaliste ?
JMR : Ce n’est pas parce qu’une enceinte
est grosse qu’elle est bonne
et chère. Je voulais une référence. Plus la
géométrie est petite, plus l’image est spectaculairement
liberée. Un maxima de performance dans un minima de
liberté. Sans compter que les gens ne sont plus disposés
à accepter des armoires normandes chez eux. Ils demandent ne
vraie convivialité avec le produit. Un petit système peut
s’intégrer facilement, un gros, jamais.
Propos
recueillis
par Laurent Thorin