Revue du Son et du Home Cinéma n° 255 sept 2001  



Revue Du Son : Comment a débuté l’aventure Jean-Marie Reynaud ?

Jean-Marie Reynaud : J’ai fait mes premières armes comme électronicien chez Hitone dans les années 60. L’émergence du transistor a été fatale à cette société et ce sont ses clients qui m’ont encourager à créer l’entreprise qui porte mon nom depuis 1967. Ce que peu de gens savent, c’est que la première activité de Jean-Marie Reynaud a été l’électronique. Trois modèles d’amplificateurs à tubes avaient été commercialisés sous ce nom. Ils étaient conçus autour du schémas Williamson. Le plus gros modèle de 2 x 70 W à ampli/préampli séparés était équipé d’un push-pull d’EL34 suivi d’un transformateur à enroulement séparé pour la contre-réaction. Cela marchait très bien. J’appartiens à la génération tubes !


R.D.S : Et à celle du haut rendement…

JMR : Vous savez, je ne suis absolument pas contre le haut rendement mais je crois que cela ne s’accorde pas bien avec l’utilisation domestique : il faut écouter à niveau sonore élevé, c’est directif, la charge volumique est conséquente. Cela va à l’encontre des souhaits du public. D’autant que l’amplificateur à transistors est venu à point nommé pour pallier cette baisse de rendement des enceintes de petite taille lancées par AR, Leak, Goodmans… L’engouement du public pour ces amplificateurs abordables, de belle présentation, aux caractéristiques techniques alléchantes a tué le tube en une dizaine d’années. N’ont survécu à ces coups de boutoir que quelques marques comme Mc Intosh, Quad, Leak, Radford…


R.D.S : Quel a été votre premier modèle d’enceinte ?

JMR : La Pavane. Elle était équipée d’un haut-parleur bi-cône Cabasse de 210 mm qui rayonnait vers le haut. Le rendement avoisinait les 96 dB. Elle fut suivie par la Gavotte équipée d’un bi-cône Princeps de 170 mm propulsé par un très gros moteur. La charge dépourvue d’absorbant était garnie de chicanes. Les évents d’accords avaient la forme de persiennes que l’on pouvait plus ou moins obturer par système de coulisseaux afin d’adapter la réponse en fonction de la proximité des murs.


R.D.S : Ce système n’a pas fait florès…

Pendant longtemps on a été obsédé par la mesure et l’on ne voulait pas prendre le risque de désaccorder un système. Cette période où la technologie prenait le pas sur le plaisir d’écoute, sur l’émotion est derrière nous. On revient aujourd’hui à des enceintes imparfaites sur le plan des mesures mais conçues par des gens qui aiment la musique. Le meilleur exemple est cette enceinte Loth Polaris dont j’ai lu l’essai dans vos colonnes. Il y a quelques années ce produit n’aurait jamais été critiqué. C’est à mon avis un nouvel état d’esprit, une libération même ! On va redevenir de vrais créateurs en faisant des produits porteurs d’originalité, d’émotion. On va pouvoir aller jusqu’au bout de l’idée que l’on se fait de la musique. Car que cherche-t-on ? On cherche par le truchement de sa chaîne a retrouver des émotions ressenties précédemment.


R.D.S : Justement dans cette optique, quelles sont les enceintes qui vous ont marqué ?

JMR : Je crois qu’il faut plutôt parler de mise en œuvre. On ne peut pas parler d’un produit pris isolément. Ma première émotion je la doit à un ensemble Radford sur des enceintes Radford/Lowther à pavillon. Plus récemment, j’ai été subjugué par les B&W Nautilus quadriamplifiées. Elles composent une réelle harmonie entre recherche technologique et le résultat musical. Le folklore n’y a aucune place ! Le seul bémol a été l’obligation d’écouter exclusivement la dizaine de disques choisis par le concepteur. En toute franchise à part ces deux exemples il n’y a rien d’autre qui m’ait donné des regrets par rapport à ce que je fais.


R.D.S : Mais vous analysez quand même les enceintes de la concurrence ?

JMR : Je les écoute à l’occasion. Cependant je ne me laisse jamais influencer par le travail des autres. J’estime qu’il ne faut pas se laisser « polluer » par les bonnes ou les mauvaises idées . On pourrait en effet perdre son âme à vouloir faire la même chose ou  à chercher à gagner des parts de marché. Il faut garder à l’esprit que nous n’évoluons pas dans une science tout à fait exacte. Il subsiste une part de créativité personnelle. C’est ce qui fait qu’un produit est reconnu. Il faut que l’on y retrouve la patte du créateur. Mes enceintes portent mon nom… Les grands groupes font de produits qui ne sont ni franchement bons, ni franchement mauvais, mais on n’y retrouve pas « l’âmes » de celui qui les a créés. Cela dit rien ne m’empêche d’écouter avec plaisir certains produits concurrents.


R.D.S : Quels sont à votre avis le percées technologique de ces trente dernières années ?

JMR : C’est la possibilité grâce à l’informatique d’effectuer des mesures très complètes sur le haut-parleurs. Nous devons beaucoup à Thiel et Small qui ont mis à notre disposition des méthodologies qui  permettent d’optimiser l’utilisation des transducteurs. L’autre domaine dans lequel les progrès ont été véritablement substantiels, c’est celui de la chimie pour la jonction mécanique entre les différents éléments. Les colles ont fait d’énormes progrès. Il ne faut pas oublier non plus la très haute qualité des usinages que l’on obtient aujourd’hui.


R.D.S : Et les matériaux de membranes ?

JMR : Kef a été le premier a utiliser un matériau synthétique : le bextrêne. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce constructeur en avait assez de mettre au rebut pour cause de dispersion de caractéristiques 80 % des cônes papier. De ce point de vue le thermoformé, qui ne sonne pas mieux, offre une reproductibilité des performances économiquement plus viable. Et cela est vrai pour tous les matériaux synthétiques. Avec le Kevlar c’est un peu différent. Le matériau étant intrinsèquement très souple on l’imprègne de résine pour le durcir ce qui fait que l’on n’entend plus le matériau mais cette résine. Curieusement aux mesures la réponse du Kevlar est très droite. L’aérogel sur lequel j’ai beaucoup travaillé représente à mon avis la meilleure alternative au papier. Son module de Young est très élevé, il est plus régulier dans sa structure moléculaire. Il est supérieur au papier en terme de linéarité, de rendu tonal. Le même problème se pose pour les tweeters. Personnellement je suis partisan des tissus imprégnés, de certains polyamides plutôt que du métal. Je fais une petite allergie aux dômes. Là encore ce sont des raisons économiques qui ont prévalues, la mode a fait le reste. Les problèmes de centrage par exemple sont exaspérants. Un dôme ne demande qu’un outillage basique. Cela « marche » à tous les coups. Or, c’est oublier qu’un dôme transmet l’énergie de l’extérieur vers l’intérieur d’où des problèmes de phase que l’on cherche a résoudre avec des petites pièces placées devant la membrane. Avec un cône au contraire cette transmission d’énergie s’effectue logiquement de l’intérieur vers l’extérieur avec une absorption progressive d’ou un meilleur amortissement, une réponse plus droite. L’argument de l’absence de directivité des dômes ne tient pas non plus. Il n’y  rien de plus directif qu’un dôme : 30° au-dessus de 6 Khz il n’y a plus rien ! Sans parler de la considérable perte d’énergie à quelqu’un mètres…


R.D.S : Dans le processus de conception d’une enceinte quelle est la part de la mesures et celle de l’écoute ?

JMR : En gros les parts sont égale, mais je conserve un coté cartésien. Je ne fais pas d’écoute de produit sans avoir un minimum de certitudes technologiques. Tout commence pas n projet volumique pour lequel je choisis des transducteurs spécifiques. Puis commence une série de mesures. Ces critères objectifs me permettent de « fixer » le jugement subjectif. L’écoute m’aide ensuite à rejeter ou à garder certaines options. L’ordinateur ne doit pas être le seul juge de paix. Il ne faut pas oublier que le régime musical est un régime transitoire, essentiellement impulsion et qu’il sollicite les haut-parleurs comme ne peuvent pas le faire les mesures en laboratoire. La courbe de réponse en fréquence glissante est d’une utilité relative. La réponse impulsionnelle donne une idée déjà plus précise à condition de bien l’interpréter.


R.D.S : Comment par exemple l’Offrande a-t-elle été conçue ?

JMR : La conception de l’Offrande relève d’une aventure dans le meilleur sens du terme. Elle m’a demandé trois ans de travail. Je voulais un QTS très bas, en l’occurrence 0,24 et obtenir partir d’une charge volumique modeste un extrême grave spectaculaire. Développer un transducteur de grave capable de satisfaire ces exigences n’a pas été facile. Mais le résultat est à la mesure des efforts consentis. C’est le seul produit qui m’a donné entière satisfaction dés sa sortie du laboratoire. Pour la première fois les résultats de mesure ont été corroborés par l’écoute. Un seul chiffre : elle supporte 20 V à 40 Hz. Le succès de cette enceinte ne s’est pas fait attendre : 3500 exemplaires ont été vendus. Cette enceinte existe depuis 5 ans et je dois avouer qu’elle me bouleverse toujours autant.


R.D.S : Et le modèle Référence. Qu’est-il devenu ?

JMR : Cette enceinte très chère (37000 francs en 1986), longue à développer, a fait une toute petite carrière. Une centaine d’unités ont été produites. Pratiquement toutes sont parties à l’export. Il faut dire que c’était une enceinte coûteuse à fabriquer notamment dans la précision du perçage par laser des orifices de diffusion des transducteurs de médium/aigu. Mais c’était un modèle très réussi, il présentait un diagramme de rayonnement cardioïde afin de ne pas générer d’image fantôme derrière le coffret comme le ferait une enceinte omnidirectionnelle plus classique C’est l’un des systèmes les plus étonnants que j’ai entendu sur de la musique symphonique


R.D.S : Vous venez de parler de succès à l’export Pensez-vous qu’il existe une oreille allemande, une oreille japonaise, une oreille anglo-saxonne ?

JMR : Je dirai qu’il existe des cultures différents Les Américains par exemple sont très sensibles à l’énergie dans l’aigu. La culture orientale est plutôt orientée vers la musique percussion. L’oreille y est formée aux événements transitoires rapides, au spectre très aigu. Les produits à l’équilibre montant y sont très appréciés. Les Italiens, eux, ont horreur du grave : il y en a toujours  « trop ». La trenté pourtant moins fournie dans le bas que l’Offrande a beaucoup de succès en Italie…Les Slaves, lyriques de nature aiment bien les enceintes romantiques et contrastées…Les Français adoptent un point de vue intermédiaire. Ils privilégient l’équilibre.


R.D.S : Que pensez-vous des nouveaux formats numériques ?

JMR : On pourra en reparler quand le standard sera défini. Les consommateurs qui ont envie d’y goûter restent dans l’expectative. Les machines disponibles sont incapables de lire tous les standard, elles valent cher. L’avenir appartient incontestablement au multicanal mais il ne se développera que lorsqu’on aura des enregistrements fait spécialement. En effet, il faut savoir que tout ce qui codé en 44,1 kHz est inexploitable. C’est pourquoi on utilise des enregistrements d’avant 1980. Cela dit les avantages de cette nouvelle étape technologique, même s’ils ne sont pas auditivement palpable pour le consommateur lambda, sont indéniables : la fréquence d’échantillonnage étant plus élevée on obtient plus d’informations, le son est plus riche, certaines duretés disparaissent. L’Intérêt du DVD Audio n’existe pas en 2 canaux., je dis bien en 2 canaux. Ce support se développera quand il sortira du carcan des 2 canaux et qu’il rendra la vraie dimension, celle de la salle de concert.


R.D.S : Pour terminer sur une touche musicale : quels sont les disques qui vous ont récemment ému ?

JMR : J’ai beaucoup aimé les Bagatelles de Beethoven interprétées par Brendel et j’ai adoré le concert en Italie de Cécilia Bartoli accompagnée de Thibaudet.


R.D.S : Merci Jean-Marie Reynaud pour votre disponibilité.


 Propos recueillis par  Robert Lacrampe