Revue
Du Son : Comment
a débuté l’aventure Jean-Marie Reynaud ?
Jean-Marie Reynaud : J’ai fait mes
premières armes comme
électronicien chez Hitone dans les années 60.
L’émergence du transistor a été fatale à
cette société et ce sont ses clients qui m’ont encourager
à créer l’entreprise qui porte mon nom depuis 1967. Ce
que peu de gens savent, c’est que la première activité de
Jean-Marie Reynaud a été l’électronique. Trois
modèles d’amplificateurs à tubes avaient
été commercialisés sous ce nom. Ils étaient
conçus autour du schémas Williamson. Le plus gros
modèle de 2 x 70 W à ampli/préampli
séparés était équipé d’un push-pull
d’EL34 suivi d’un transformateur à enroulement
séparé pour la contre-réaction. Cela marchait
très bien. J’appartiens à la génération
tubes !
R.D.S
: Et
à celle du haut rendement…
JMR : Vous savez, je ne suis absolument
pas contre le haut rendement
mais je crois que cela ne s’accorde pas bien avec l’utilisation
domestique : il faut écouter à niveau sonore
élevé, c’est directif, la charge volumique est
conséquente. Cela va à l’encontre des souhaits du public.
D’autant
que l’amplificateur à transistors est venu à point
nommé pour pallier cette baisse de rendement des enceintes de
petite taille lancées par AR, Leak, Goodmans… L’engouement du
public pour ces amplificateurs abordables, de belle
présentation, aux caractéristiques techniques
alléchantes a tué le tube en une dizaine d’années.
N’ont survécu à ces coups de boutoir que quelques marques
comme Mc Intosh, Quad, Leak, Radford…
R.D.S
: Quel a
été votre premier modèle d’enceinte ?
JMR : La Pavane. Elle était
équipée d’un
haut-parleur bi-cône Cabasse de 210 mm qui rayonnait vers
le haut. Le rendement avoisinait les 96 dB. Elle fut suivie par la
Gavotte équipée d’un bi-cône Princeps de 170 mm
propulsé par un très gros moteur. La charge
dépourvue d’absorbant était garnie de chicanes. Les
évents d’accords avaient la forme de persiennes que l’on pouvait
plus ou moins obturer par système de coulisseaux afin d’adapter
la réponse en fonction de la proximité des murs.
R.D.S
: Ce
système n’a pas fait florès…
Pendant longtemps on a été
obsédé par la
mesure et l’on ne voulait pas prendre le risque de désaccorder
un système. Cette période où la technologie
prenait le pas sur le plaisir d’écoute, sur l’émotion est
derrière nous. On revient aujourd’hui à des enceintes
imparfaites sur le plan des mesures mais conçues par des gens
qui aiment la musique. Le meilleur exemple est cette enceinte Loth
Polaris dont j’ai lu l’essai dans vos colonnes. Il y a quelques
années ce produit n’aurait jamais été
critiqué. C’est à mon avis un nouvel état
d’esprit, une libération même ! On va redevenir de vrais
créateurs en faisant des produits porteurs d’originalité,
d’émotion. On va pouvoir aller jusqu’au bout de l’idée
que l’on se fait de la musique. Car que cherche-t-on ? On cherche par
le truchement de sa chaîne a retrouver des émotions
ressenties précédemment.
R.D.S
: Justement
dans cette optique, quelles sont les enceintes qui vous ont
marqué ?
JMR : Je crois qu’il faut plutôt
parler de mise en œuvre. On ne
peut pas parler d’un produit pris isolément. Ma première
émotion je la doit à un ensemble Radford sur des
enceintes Radford/Lowther à pavillon. Plus récemment,
j’ai été subjugué par les B&W Nautilus
quadriamplifiées. Elles composent une réelle harmonie
entre recherche technologique et le résultat musical. Le
folklore n’y a aucune place ! Le seul bémol a été
l’obligation d’écouter exclusivement la dizaine de disques
choisis par le concepteur. En toute franchise à part ces deux
exemples il n’y a rien d’autre qui m’ait donné des regrets par
rapport à ce que je fais.
R.D.S
: Mais vous
analysez quand même les enceintes de la concurrence ?
JMR : Je les écoute à
l’occasion. Cependant je ne me
laisse jamais influencer par le travail des autres. J’estime qu’il ne
faut pas se laisser « polluer » par les bonnes ou
les mauvaises idées . On pourrait en effet perdre son âme
à vouloir faire la même chose ou à chercher
à gagner des parts de marché. Il faut garder à
l’esprit que nous n’évoluons pas dans une science tout à
fait exacte. Il subsiste une part de créativité
personnelle. C’est ce qui fait qu’un produit est reconnu. Il faut que
l’on y retrouve la patte du créateur. Mes enceintes portent mon
nom… Les grands groupes font de produits qui ne sont ni franchement
bons, ni franchement mauvais, mais on n’y retrouve pas
« l’âmes » de celui qui les a
créés. Cela dit rien ne m’empêche d’écouter
avec plaisir certains produits concurrents.
R.D.S
: Quels sont
à votre avis le percées technologique de ces trente
dernières années ?
JMR : C’est la possibilité
grâce à l’informatique
d’effectuer des mesures très complètes sur le
haut-parleurs. Nous devons beaucoup à Thiel et Small qui ont mis
à notre disposition des méthodologies qui
permettent d’optimiser l’utilisation des transducteurs. L’autre domaine
dans lequel les progrès ont été
véritablement substantiels, c’est celui de la chimie pour la
jonction mécanique entre les différents
éléments. Les colles ont fait d’énormes
progrès. Il ne faut pas oublier non plus la très haute
qualité des usinages que l’on obtient aujourd’hui.
R.D.S
: Et les
matériaux de membranes ?
JMR : Kef a été le premier a
utiliser un matériau
synthétique : le bextrêne. Pourquoi ? Tout simplement
parce que ce constructeur en avait assez de mettre au rebut pour cause
de dispersion de caractéristiques 80 % des cônes papier.
De ce point de vue le thermoformé, qui ne sonne pas mieux, offre
une reproductibilité des performances économiquement plus
viable. Et cela est vrai pour tous les matériaux
synthétiques. Avec le Kevlar c’est un peu différent. Le
matériau étant intrinsèquement très souple
on l’imprègne de résine pour le durcir ce qui fait que
l’on n’entend plus le matériau mais cette résine.
Curieusement aux mesures la réponse du Kevlar est très
droite. L’aérogel sur lequel j’ai beaucoup travaillé
représente à mon avis la meilleure alternative au papier.
Son module de Young est très élevé, il est plus
régulier dans sa structure moléculaire. Il est
supérieur au papier en terme de linéarité, de
rendu tonal. Le même problème se pose pour les tweeters.
Personnellement je suis partisan des tissus imprégnés, de
certains polyamides plutôt que du métal. Je fais une
petite allergie aux dômes. Là encore ce sont des raisons
économiques qui ont prévalues, la mode a fait le reste.
Les problèmes de centrage par exemple sont exaspérants.
Un dôme ne demande qu’un outillage basique. Cela
« marche » à tous les coups. Or, c’est
oublier qu’un dôme transmet l’énergie de
l’extérieur vers l’intérieur d’où des
problèmes de phase que l’on cherche a résoudre avec des
petites pièces placées devant la membrane. Avec un
cône au contraire cette transmission d’énergie s’effectue
logiquement de l’intérieur vers l’extérieur avec une
absorption progressive d’ou un meilleur amortissement, une
réponse plus droite. L’argument de l’absence de
directivité des dômes ne tient pas non plus. Il n’y
rien de plus directif qu’un dôme : 30° au-dessus de 6 Khz il
n’y a plus rien ! Sans parler de la considérable perte
d’énergie à quelqu’un mètres…
R.D.S
: Dans le
processus de conception d’une enceinte quelle est la part de la mesures
et celle de l’écoute ?
JMR : En gros les parts sont égale,
mais je conserve un
coté cartésien. Je ne fais pas d’écoute de produit
sans avoir un minimum de certitudes technologiques. Tout commence pas n
projet volumique pour lequel je choisis des transducteurs
spécifiques. Puis commence une série de mesures. Ces
critères objectifs me permettent de
« fixer » le jugement subjectif. L’écoute
m’aide ensuite à rejeter ou à garder certaines options.
L’ordinateur ne doit pas être le seul juge de paix. Il ne faut
pas oublier que le régime musical est un régime
transitoire, essentiellement impulsion et qu’il sollicite les
haut-parleurs comme ne peuvent pas le faire les mesures en laboratoire.
La courbe de réponse en fréquence glissante est d’une
utilité relative. La réponse impulsionnelle donne une
idée déjà plus précise à condition
de bien l’interpréter.
R.D.S
: Comment
par exemple l’Offrande a-t-elle été conçue ?
JMR : La conception de l’Offrande
relève d’une aventure dans le
meilleur sens du terme. Elle m’a demandé trois ans de travail.
Je voulais un QTS très bas, en l’occurrence 0,24 et obtenir
partir d’une charge volumique modeste un extrême grave
spectaculaire. Développer un transducteur de grave capable de
satisfaire ces exigences n’a pas été facile. Mais le
résultat est à la mesure des efforts consentis. C’est le
seul produit qui m’a donné entière satisfaction
dés sa sortie du laboratoire. Pour la première fois les
résultats de mesure ont été corroborés par
l’écoute. Un seul chiffre : elle supporte 20 V à 40 Hz.
Le succès de cette enceinte ne s’est pas fait attendre : 3500
exemplaires ont été vendus. Cette enceinte existe depuis
5 ans et je dois avouer qu’elle me bouleverse toujours autant.
R.D.S
: Et le
modèle Référence. Qu’est-il devenu ?
JMR : Cette enceinte très
chère (37000 francs en 1986),
longue à développer, a fait une toute petite
carrière. Une centaine d’unités ont été
produites. Pratiquement toutes sont parties à l’export. Il faut
dire que c’était une enceinte coûteuse à fabriquer
notamment dans la précision du perçage par laser des
orifices de diffusion des transducteurs de médium/aigu. Mais
c’était un modèle très réussi, il
présentait un diagramme de rayonnement cardioïde afin de ne
pas générer d’image fantôme derrière le
coffret comme le ferait une enceinte omnidirectionnelle plus classique
C’est l’un des systèmes les plus étonnants que j’ai
entendu sur de la musique symphonique
R.D.S
: Vous venez
de parler de succès à l’export Pensez-vous qu’il existe
une oreille allemande, une oreille japonaise, une oreille anglo-saxonne
?
JMR : Je dirai qu’il existe des cultures
différents Les
Américains par exemple sont très sensibles à
l’énergie dans l’aigu. La culture orientale est plutôt
orientée vers la musique percussion. L’oreille y est
formée aux événements transitoires rapides, au
spectre très aigu. Les produits à l’équilibre
montant y sont très appréciés. Les Italiens, eux,
ont horreur du grave : il y en a toujours
« trop ». La trenté pourtant moins fournie
dans le bas que l’Offrande a beaucoup de succès en Italie…Les
Slaves, lyriques de nature aiment bien les enceintes romantiques et
contrastées…Les Français adoptent un point de vue
intermédiaire. Ils privilégient l’équilibre.
R.D.S
: Que
pensez-vous des nouveaux formats numériques ?
JMR : On pourra en reparler quand le
standard sera défini. Les
consommateurs qui ont envie d’y goûter restent dans
l’expectative. Les machines disponibles sont incapables de lire tous
les standard, elles valent cher. L’avenir appartient incontestablement
au multicanal mais il ne se développera que lorsqu’on aura des
enregistrements fait spécialement. En effet, il faut savoir que
tout ce qui codé en 44,1 kHz est inexploitable. C’est pourquoi
on utilise des enregistrements d’avant 1980. Cela dit les avantages de
cette nouvelle étape technologique, même s’ils ne sont pas
auditivement palpable pour le consommateur lambda, sont
indéniables : la fréquence d’échantillonnage
étant plus élevée on obtient plus d’informations,
le son est plus riche, certaines duretés disparaissent.
L’Intérêt du DVD Audio n’existe pas en 2 canaux., je dis
bien en 2 canaux. Ce support se développera quand il sortira du
carcan des 2 canaux et qu’il rendra la vraie dimension, celle de la
salle de concert.
R.D.S
: Pour
terminer sur une touche musicale : quels sont les disques qui vous ont
récemment ému ?
JMR : J’ai beaucoup aimé les
Bagatelles de Beethoven
interprétées par Brendel et j’ai adoré le concert
en Italie de Cécilia Bartoli accompagnée de Thibaudet.
R.D.S : Merci
Jean-Marie Reynaud pour votre disponibilité.
Propos recueillis
par Robert Lacrampe